Colloque international et pluridisciplinaire
« Cette destinée de l’Europe qui chantait en Beethoven… »
2-3 décembre 2021
Institut de recherche en Langues et Littératures Européennes (ILLE, UR 4363)
Université de Haute-Alsace, Mulhouse
Beethoven : cacique de la « légion héroïque » selon Romain Rolland, qui dans sa Vie de Beethoven (Cahiers de la Quinzaine, 1903) ne fait en somme que résumer à sa manière le « mythe de Beethoven » (voir Marie Gaboriaud, Une vie de gloire et de souffrance. Le mythe de Beethoven sous la Troisième République, Paris, Classiques Garnier, 2017) né en France après Sedan. Mythe dont l’épanouissement est d’autant plus étonnant que Beethoven figura longtemps parmi les incompris, sinon parmi les maudits. Témoin cette anecdote rapportée par Berlioz, et reprise par Gide dans un article publié dans La Vie des Lettres en avril 1914 : « [L]a première fois qu’on tenta de jouer du Beethoven au Conservatoire, il fallut gratter le nom de Beethoven sur la partie des instruments, car ces Messieurs les exécutants, sinon, n’eussent pas consenti à jouer. »
Pourquoi, donc, Beethoven ? Ou plus exactement, pourquoi, malgré tout, Beethoven ? Quel besoin avait la littérature, française en premier lieu, mais aussi plus largement européenne, d’une telle figure ? Et qu’est-ce qui explique la longévité du mythe, et son caractère pour ainsi dire invasif – il n’est pas jusqu’à la littérature japonaise contemporaine qui ne soit irriguée par le réseau de mythèmes nés du (ou constituant le) personnage de Beethoven, Haruki Murakami faisant de l’évocation du Trio à l’Archiduc op. 97 l’un des supports poétiques de son Kafka sur le rivage (2002) ?
Telles sont quelques-unes des questions auxquelles nous voudrions tenter d’apporter des éléments de réponse. Notre réflexion collective se développera autour des axes suivants (qui n’ont rien, cependant, d’exclusif) :
- Beethoven l’Européen. Ce n’est pas un hasard si l’Hymne à la joie est devenu le symbole musical de l’Europe : Nietzsche, déjà, n’évoquait-il pas « cette destinée de l’Europe qui chantait en Beethoven » (Par-delà le Bien et le Mal, 1886) ? Mais quelles sont les valeurs qui fondent cette identification ou cette identité fantasmée entre le musicien et le continent qui a fait de lui son porte-drapeau ?
- À la manière de Beethoven. On sait que Gide et Huxley tentèrent d’écrire (ou de faire écrire leurs personnages) à la manière de Bach, et plus spécifiquement du Bach de L’Art de la fugue. De la même façon, certains écrivains, afin de mieux épouser l’ « éthique beethovénienne », ne se seraient-ils pas également servi de sa poétique comme d’un architexte ? Il nous semble en tout cas indispensable d’étudier dans un seul geste la fortune des figures d’artiste subsumées sous l’ « étiquette » Beethoven et l’influence du « style » du maître de Bonn sur ses admirateurs littéraires.
- Beethoven humain, trop humain. Dans sa sixième « Lettre à Angèle », publiée dans L’Ermitage de janvier 1899, Gide notait : « Si j’eusse eu plus de temps, je me fusse amusé à vous montrer le nietzschéisme d’avant Nietzsche. Par des citations habilement choisies j’eusse pu circonvenir presque de toutes parts sa figure ; […] ce qu’il eût fallu citer surtout, ce sont des phrases des dernières oeuvres de Beethoven ». Le rapprochement est convenu, mais il n’en fait pas moins sens : il semblerait que Beethoven, au-delà de l’humanisme européiste qu’on lui prête, soit aussi devenu la plus éminente incarnation d’une humanité (le mot désignant ici le caractère de ce qui est humain) nietzschéenne dans ses contours. Dans La Révolte (quatrième tome de Jean-Christophe, publié en 1907), Romain Rolland écrivait d’ailleurs : « Puis, [Christophe]
avait le sentiment que le génial Cantor écrivait dans sa chambre close : cela sentait le renfermé ; il n’y avait pas dans sa musique cet air fort du dehors qui souffle chez d’autres, moins grands musiciens peut-être, mais plus grands hommes, – plus hommes tels Beethoven, ou Haendel. » Or cette ouverture sur les vents du dehors s’accompagne, dans l’imaginaire de l’époque, d’une forme de générosité supérieure, ou d’abnégation
teintée d’idéalisme : selon Gide, ainsi, Beethoven, au même titre de Goethe, Balzac, Nietzsche et… Napoléon, est « admirablement dévoué[…] à [une] grande idée projetée devant [lui], au-dessus de [lui] » (« Lettre à Angèle, XII », L’Ermitage, janvier 1900). - Beethoven comme terminus. On se souvient que, dans une lettre de novembre 1894 à Suzette Lemaire, Proust écrivait : « une symphonie de Beethoven […] est [pour moi] non seulement ce qu’il y a de plus beau en musique, mais encore ce qui remplit la plus haute fonction de la musique, puisqu’elle se meut en dehors du particulier, du concret –
est aussi profonde et aussi vague que notre sentiment ou notre volonté dans son essence, c’est-à-dire abstraction faite des objets particuliers et extérieurs auxquels elle peut s’attacher ». Vision cette fois schopenhauerienne plus que nietzschéenne du compositeur, mais qui contribue à faire de son oeuvre un sommet indépassable, une sorte
de zénith de l’esthétique occidentale – et par conséquent un terminus. Idée de Beethoven qui se trouve résumée dans le Docteur Faustus (1947) de Thomas Mann, qui fait de la dernière sonate pour piano op. 111 de Beethoven la dernière sonate tout court : « Il était advenu que la sonate, dans ce deuxième mouvement, cet énorme mouvement, s’était
achevée à jamais. Et lorsqu’il disait : “la sonate”, il n’entendait pas désigner uniquement celle-ci, en ut mineur, mais la sonate en général, en tant que genre, en tant que forme d’art traditionnel : elle avait été amenée ici à sa fin, à faire une fin, elle avait rempli son destin, accompli son but insurpassable, elle s’abolissait et se dénouait, elle prenait congé – le signe d’adieu du motif “ré sol sol” adouci mélodiquement par l’ut
dièse était un adieu dans ce sens général aussi, un adieu grand comme l’oeuvre, l’adieu à la sonate. »
Bien entendu, les projets apportant d’autres éclairages sur la question seront les bienvenus. Les propositions, d’une dizaine de lignes, sont à envoyer, accompagnées d’une brève notice biobibliographique, à Luc Fraisse (fraisseluc@gmail.com) et à Augustin Voegele (augustinvoegele@yahoo.fr) avant le 25 avril 2021.
Les communications feront (sous réserve d’acceptation après une double relecture à l’aveugle) l’objet d’une publication.